Devant l'hôtel Central, ex-hôtel Aucouturier où séjournait Antoine de Saint-Exupéry à Boussac. (Photo Martine Braquet)

            Quinze jours à Boussac - vers un modèle d'enquête artistique et patrimoniale ?


         Invité par l'Académie de Limoges, la DRAC Nouvelle-Aquitaine et le CTEAC Creuse-confluence à intervenir dans le cadre de mon projet sur les traces d'Antoine de Saint-Exupéry dans le monde, j'ai séjourné dans la commune de Boussac pendant quinze jours du 9 au 21 janvier 2023. Pensée comme un temps d'immersion dans le territoire, la résidence a été rythmée par des interventions quotidiennes auprès d'une centaine de personnes. Parmi eux, les deux classes de sixième du Collège Henri Judet ainsi que deux groupes d'habitants (résidents en Ehpad, agriculteurs, scolaires, actifs) qui ont participé aux ateliers à la bibliothèque municipale.

      Ces quinze jours m'ont permis d'associer les habitants de Boussac à mon travail de recherche. En enquêtant autour d'eux, les participants ont grandement contribué à la collecte des mémoires individuelles, constitutives de mon oeuvre finale : définir de nouveaux contours conceptuels et visuels d'un Petit Prince contemporain. Cette résidence a également permis de mettre au jour de nouvelles informations sur le passage de Saint Exupéry en Creuse et d'explorer de nouvelles méthodes de narration visuelle en associant la photographie à un co-texte photographique inscrit en cyanotype sur le passe partout. 

       Travaillant pour la première fois avec le public rural éloigné de l'offre culturelle, j'ai pensé mes interventions comme un moment d'échanges et de dialogues en quatre temps : présentation de ma pratique photographique, enquête autour de l'archive, pratique artistique, restitution. Vous retrouverez ci-dessous une description de chaque étape de la résidence et leurs enjeux spécifiques. Par sa durée et l'association de plusieurs approches, la résidence a été reçue très favorablement par les habitants et constitue dans ma pratique un modèle pertinent à développer.


1- Présentation de ma pratique photographique


Lors de la première rencontre avec le public, je présente mon quotidien de photographe et les enjeux du projet "À la recherche du Petit Prince" : Quel est le travail du photographe ? Comment interpréter une oeuvre littéraire ? Pourquoi ce travail a-t-il un intérêt ? 

Ce moment est une première prise de contact avec le groupe et permet à l'ensemble des participants d'aborder le projet sur un pied d'égalité. J'explique quelles vont être les prochaines étapes et en quoi vont consister nos prochaines rencontres.

La dimension internationale du projet est évoquée tout en plaçant le territoire au centre : c'est la singularité du territoire et de ses habitants qui est au coeur de ce projet international.

2- Archive, enquête et territoire


Le second atelier est consacré à la présentation des archives sur lesquelles le projet s'appuie. C'est un moment très important qui fait le lien entre un document historique, un territoire et la contemporaneïté de la pratique. 

Les participants sont amenés à réfléchir à un document d'archive que je leur présente (dans le cas de Boussac, une lettre écrite par Saint-Exupéry dans un hôtel de la commune), à observer ce qui y est inscrit et à définir les informations qu'ils vont pouvoir exploiter. Le fait que l'archive soit liée au territoire constitue une force considérable car elle devient alors le lien entre une expérience personnelle de la ville : "Je connais ce lieu, je suis déjà passé devant" et une histoire partagée : " Ce lieu existait avant moi, un auteur dont je connais le travail y a séjourné " .

L'archive n'est pas amenée pour illustrer un propos mais bien comme point de départ de la réflexion : Ce document dont nous disposons, que nous apprend-t-il ? Quels éléments va-t-on pouvoir mobiliser pour en tirer parti ?

À la fin de la séance il est proposé au public de prendre part à ma recherche par l'enquête. Ils sont chargés de sonder leurs familles, leurs amis, leurs voisins : Connaissent-ils le Petit Prince ? Sont-ils au fait du passage de Saint-Exupéry à Boussac ? Disposent-ils d'informations, de souvenirs particuliers ?

Elèves et adultes se trouvent alors acteurs du projet. À la manière d'un puzzle, ils disposent d'un ensemble d'informations qu'ils cherchent à compléter par la collecte de témoignages. Cette étape est essentielle car elle permet de décloisonner le champ d'action : ce n'est pas uniquement un projet qui reste dans l'espace de la classe, c'est une enquête qui entre dans le cadre familial et qui va toucher le cercle social du participant.

A l'issue de son enquête, l'enquêteur me remet un petit rapport écrit explicitant sa méthode de recherche : Qui a-t-il interrogé ? Quels ont été les retours de son entourage ? Quels sont les éléments marquants de son enquête ?

3- La pratique artistique


Le temps de pratique artistique intervient à l'issue de l'enquête. Je propose une initiation à une technique photographique offrant une grande flexibilité d'usage : le cyanotype. On peut en effet fixer sur ce support une photographie prise au téléphone portable, un dessin, un texte ; ou bien associer ces trois éléments ensemble sur ce même support. L'usage du cyanotype est d'autant plus intéressant qu'il est non-toxique et durable. C'est également une technique qui permet une large reproductibilité dans les familles car il ne nécessite pas d'investissement important, est facilement accessible et donne des résultats corrects sans difficulté.

Je fais le choix de ne pas donner de direction au contenu : chaque participant créé son oeuvre propre et unique dans laquelle il va raconter sa propre histoire, un moment fort de son enquête, un passage qui l'a marqué dans la vie ou l'œuvre de Saint-Exupéry.

4 - La restitution et le goût de l'enquête


A la fin des ateliers nous avons organisé, avec l'équipe pédagogique et la bibliothèque, une restitution commune à l'ensemble des participants. Ce temps de rencontre et de bilan du travail accompli a permis aux groupes ayant travaillé séparément de se retrouver et d'apprécier l'ensemble des travaux.

Au vu de l'investissement important des habitants dans le processus de recherche, j'ai souhaité prolonger cette enquête en ajoutant un élément supplémentaire aux travaux présentés : une oeuvre photographique spécialement composée pour les habitants de Boussac. 

Il s'agit d'un tirage associant argentique et cyanotype développé dans ma chambre noire installée à la bibliothèque pour la durée de la résidence. La photographie, réalisée en Creuse, représente un amoncellement de chaises en bois dans la pénombre ; en-dessous figure un texte épistolaire, référence aux archives étudiées qui font la spécificité de mon étape Boussaquine. La lettre, destinée à un certain "Martin" , est une énigme à résoudre qui mènera l'enquêteur à un mystérieux trésor dissimulé dans la ville.

"         Cher Martin,

          Suite à notre discussion au café de la place, voici une nouvelle énigme. Une fois résolue elle t’indiquera l’endroit exact du trésor de Boussac :

  • 1844 : Promenade
  • 1922 : Toutankhamon
  • 1933 : Bains publics 

           Lorsque tu l’auras découvert, libre à toi de le transmettre ?

                                                             Amitiés aux amis de Boussac,

                                                                                                                Léon "

Ce dispositif a suscité un très fort engouement en mettant les participants face à de nouvelles questions. Quel est ce trésor ? Que contient-il ? Où se trouve-t-il ? Quel est le rapport avec Saint-Exupéry et le Petit Prince ? La photographie est-elle un indice de l'énigme ?

C'est peut-être cette dernière question qui fait mouche. La photographie fait-elle partie de l'énigme ? Anodine, la question pose pourtant les jalons d'une exploration de ce qu'est un récit visuel : peut-on associer  un texte à une photographie alors qu'ils ne semblent pas directement liés ? Le texte doit-il expliquer l'image qu'il entoure ? Nous pourrions pousser la réflexion un peu plus loin : le texte, apposé sur le passe-partout sous forme de cyanotype, n'est-il pas lui même une photographie ? 

Je ne révèlerai pas ici le lieu ni le contenu du trésor qui appartient aux seuls habitants de Boussac. Il me semble cependant important d'insister sur la persistance du mystère : alors que les participants pensaient l'enquête aboutie et attendaient la prochaine grande exposition de mai, ils sont confrontés à de nouvelles énigmes qu'ils pourront élucider à l'aide des outils que nous avons mobilisés ensemble, lors des ces quinze jours à Boussac.

Retrouvez la vidéo de présentation du projet.

Merci à l'ensemble des habitants de Boussac pour leur accueil très chaleureux et à M. David Redon, conseiller EAC DRAC Nouvelle-Aquitaine ; M. Le Van, inspecteur d'académie DAAC de Limoges ; M. Foulon, Maire de Boussac ; Mme. Martine Braquet, coordinatrice CTEAC Creuse-confluence ; Mme. Martin, conseillère municipale ; Mme. Carine Beaufort, responsable de la bibliothèque ; Mme. Henry, Principale du collège. Ainsi que les professeures participants à ce projet : Mme. Peseyre et Mme. Ranger.

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Apparition médias

La résidence a été suivie par plusieurs médias creusois : La Montagne, L'écho du Berry et France Bleu Creuse. Merci aux journalistes et correspondants pour leur intérêt dans ce projet : Mme. Perrot, Mme. Menut, Mme. Desages, Mme. Pavageau et M. Barlier.

 


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